Avoir des projets en éducation, c’est douteux et inquiétant. Si ce l’est pour les enseignants et pour les directions d’école, ce l’est encore plus pour le ministre de l’Éducation ! L’idée de Lab-école est-elle si mauvaise ?
Ce qui irrite les sempiternelles vierges offensées du monde de l’éducation, c’est essentiellement deux choses. D’une part, on ne consulte pas ceux qui travaillent dans les écoles et, d’autre part, on investit 1.5M$ annuellement dans ce projet pendant cinq ans alors que les écoles décrépissent à vue d’œil et que le système d’éducation québécois s’enlise peu à peu depuis des années de vache maigre.
En éducation au Québec, ceux qui ont de bonnes idées dérangent. On les trouve prétentieux, idéalistes, déconnectés et menaçants. Ils prennent trop de place. On les jalouse. On les ostracise. L’éducation, malheureusement, c’est le royaume de la mentalité fixe, celle où rien ne doit changer ni évoluer.
Encore une attitude cloisonnée
Qu’y a-t-il de mal à ce que des acteurs de la société se donnent la main pour aider l’éducation ? Ils n’en ont pas l’expertise ? Est-ce que les enseignants, eux, vont dire à Ricardo comment faire son potage ? Devons-nous citer à l’unisson ce magnifique cri de ralliement désormais célèbre : « L’expert dans la classe, c’est le prof » ? À chacun son métier, semble-t-il !
Un architecte rêveur, un sportif extrême et un chef reconnu apporteront leur contribution pour réinventer l’école. Hérésie ! Pourquoi demander à des personnes hors du réseau scolaire de réinventer l’école, alors que des centaines de milliers d’acteurs du réseau sont à pied d’œuvre quotidiennement dans nos écoles et commissions scolaires ? La réponse est simple : ceux qui sont en place depuis une vingtaine d’années (ou même plus), et je m’inclus dans le lot, ont tout simplement échoué à faire évoluer l’éducation au même rythme que la société. Imaginez quelques représentants de ce beau monde autour d’une table lancer ad nauseam les habituels « ça ne fonctionnera pas ». Je pense que nous avons démontré que nous avons fait le tour du jardin des idées de l’intérieur. Nous avons besoin d’aide de l’externe.
La vraie question à se poser est plutôt celle-ci : pouvons-nous nous permettre de refuser une quelconque aide en éducation ?
Ces trois individus en ont beaucoup à nous apprendre à bien des égards et leur contribution à la société québécoise est indiscutable. Non seulement ont-ils réussi dans la vie, mais en plus ils ont voyagé et appris des choses que nous ignorons et qui pourraient nous être utiles dans les circonstances. J’ai vu une conférence de Pierre Thibault et son récit de visite des écoles au Danemark, au Japon et ailleurs. J’ai pris des notes et ces notes se transformeront en action prochainement. Dans nos écoles, dans nos commissions scolaires, bien peu d’intervenants peuvent s’offrir le loisir d’aller dans d’autres pays ou même d’autres provinces pour s’enquérir des mœurs éducatives et venir en témoigner ici au Québec. C’est rare essentiellement pour deux raisons : si on a le malheur de dépenser des sous pour autre chose qu’un besoin dans une classe, c’est inacceptable. Deuxièmement, nous sommes trop absorbés par l’urgence du quotidien scolaire et il nous est pratiquement impossible de nous affranchir de nos obligations pendant une ou deux semaines; le monde arrêterait de tourner !
Un investissement ?
Selon la planification budgétaire dévoilée en mars dernier, le Gouvernement québécois dépensera un total de 103.7G$ pour l’année. Il mettra un tout petit 1.5M$ de côté pour financer le Lab-école. On parle ici d’une minime partie du budget qui est investi à ce projet : 0.0014% des dépenses de l’état. Oui, je sais, 1.5M$ ferait toute la différence dans nos écoles, surtout dans celles en milieu défavorisé. Et si on considérait plutôt cela comme un investissement et une tentative de réinventer notre modèle scolaire qui semble être sur le respirateur artificiel ? Devrions-nous vraiment dénoncer 1.5M$ investis annuellement pour les cinq prochaines années, lesquels pourraient permettre de mieux organiser nos écoles et ainsi, entre autres :
- Diminuer le taux de décrochage scolaire de façon durable;
- Augmenter le sens d’appartenance des élèves, leur mobilisation et leur motivation;
- En faire un lieu central dans nos quartiers, un lieu ouvert sur la communauté ?
On critique l’inaction des instances ministérielles ou gouvernementales. On critique également leur manque de créativité et de flexibilité. On les accuse d’être déconnectées des réalités des milieux scolaires. Quand ces mêmes instances accouchent d’un projet, que faisons-nous ? Nous les critiquons, bien évidemment ! Tant qu’à être critiqué, autant bien l’être en essayant de changer les choses. En ce sens, bravo monsieur le ministre de l’Éducation.
Il faut donc être réellement culotté pour critiquer des initiatives extérieures qui pourraient nous aider à travailler dans un environnement plus propice aux apprentissages et au bien-être de nos élèves. Nous manquons d’humilité. C’est un peu comme si les bonnes idées devaient nécessairement venir de l’intérieur du cercle. La vérité est crue : peu importe d’où viennent les idées en éducation, on les écrase, on les passe à la moulinette. Même, parfois (un peu trop souvent), on défait également ceux qui ont ces idées. Il n’y a pas de place pour le rêve dans notre profession : on a trop de correction, trop de paperasse, trop de « tâches connexes » pour lesquelles nous ne sommes pas payés. À s’écouter chialer, on se demande pourquoi notre travail n’est pas reconnu dans la société… on peine à reconnaitre le travail et les initiatives de nos propres collègues… Comment espérer être reconnu par « monsieur et madame tout le monde » ?
Donner la chance aux coureurs
Le Lab-école est-il viable ? Je pense que oui. Du moins, je leur donnerai la chance de le prouver et même, si je le peux, je ferai en sorte que ce projet réussisse. Je demeure disponible pour eux. N’importe où, n’importe quand, n’importe comment. Mon but et le leur est le même : faire de l’école une expérience de vie enrichissante pour moi et surtout, pour ceux que j’aime : mes enfants, mes élèves et mes collègues. Point à la ligne.
Cependant, il faut avertir les trois vedettes et le ministre : bonne chance ! Vous allez vous buter à un paquet d’obstacles que les acteurs de l’éducation placeront devant vous. Vous serez critiqués et même boudés. Nous sommes effectivement passés maitres dans l’art de se mettre des bâtons dans nos propres roues et dans celles de nos collègues. On vous critiquera sur idées de beurre d’arachides à la cafétéria (en passant, j’y suis allergique) ou sur les clôtures Frost qui ceinturent les terrains de nos écoles, et ce, bien avant que vous ayez pu débattre de ces idées entre vous et que vous les ayez présentées officiellement aux acteurs du milieu scolaire. On vous fera comprendre que vous ne connaissez rien en éducation et c’est justement ce pour quoi nous n’avons pas notre place parmi vous : nous avons perdu la faculté de rêver. Allez… au travail, messieurs, et ça presse.