Passer d’une mentalité fixe à une mentalité de croissance en éducation

 

 

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En presque vingt années dans le monde de l’éducation, autant en tant qu’enseignant que de directeur, j’ai entendu plusieurs excuses provenant de la bouche de professionnels de l’éducation refusant d’intégrer les technologies à leur pédagogie. Je les ai entendues et, je dois l’avouer, je les ai dites également à certains moments de ma carrière d’enseignant. Ces excuses répétées ad nauseam par des milliers d’enseignants, de directeurs, de cadres scolaires et de bureaucrates ont fait que l’école accuse désormais un immense retard technologique sur tous les autres domaines de la société. C’est là qu’on est rendu : nous sommes le wagon de queue, alors que l’école devrait être une locomotive sociale. Voici donc quelques perles traduisant la mentalité fixe qui tapisse les murs de tous nos milieux scolaires, mais surtout, voici comment on peut les transformer en trésor de mentalité de croissance !

« Les élèves passent trop de temps devant un écran ».

C’est bien vrai ! Cela dit, ce n’est pas parce qu’on intègre les technologies de l’information et de la communication (TIC) qu’on doit toujours placer les élèves devant un écran ! Oui, le magistral a encore sa place et oui, il est possible de collaborer sans y avoir recours. Il y a de la place pour des activités débranchées. Imaginez, il y a même possibilité d’introduire la pensée informatique et d’aborder la programmation sans ordinateur ! On peut même le faire en les faisant bouger et en allant dehors !

Autrement dit, il ne faut pas que l’exposition prolongée aux écrans devienne un prétexte pour bannir l’utilisation des TIC des classes. C’en est un suffisamment pertinent pour coordonner les pratiques des enseignants dans l’école et pour se réinventer tant aux plans pédagogiques qu’organisationnels. Quand on y pense bien, que tous les élèves soient assis devant une présentation PowerPoint pendant cinq heures d’affiliés un jour après l’autre, cela ne nous préoccupe pas. Mais s’ils le sont devant leurs bidules numériques en contexte scolaire, ça c’est préoccupant ! Deux poids, deux mesures !

Reformulation selon le principe de mentalité de croissance : Afin d’éviter que les élèves passent trop de temps devant un écran, je m’assure de deux choses essentiellement :

  • De varier mes approches pédagogiques;
  • D’être flexible dans mes approches. Je peux enseigner n’importe quelle notion de différentes façons (je ne recycle pas mes approches nécessairement);
  • De communiquer avec les autres enseignants de mon niveau pour planifier le temps d’exposition à un écran;
  • De comprendre que le temps d’exposition à un écran est peut-être néfaste, mais celui d’exposition à un tableau l’est également. Une pédagogie active est envisageable !

« J’enseigne de la même façon depuis 25 ans et cela a toujours bien fonctionné. Pourquoi aujourd’hui cela ne serait plus bon ? »

C’est probablement ce que j’ai le plus souvent entendu dans ma carrière ! Ceux qui utilisent cette excuse sont ceux qui s’attendent à faire la même chose d’une année à l’autre pendant 35 ans. Ce sont ceux qui tiennent pour acquis que le temps se fige et que rien ne change durant ce moment. Ironiquement, cette excuse semble bien propre au monde de l’éducation. Imaginez un moment que votre médecin vous serve cet argumentaire. Vous seriez effrayé, non ? Les temps changent. Les humains changent. Les jeunes changent. Vos pratiques éducatives doivent changer également.

Reformulation selon le principe de mentalité de croissance : Je prends part au changement en éducation. Je le façonne au lieu de le subir. Je prépare mes élèves aux défis de la contemporanéité et j’accepte d’apprendre à leurs côtés.

Les jeunes en connaissent bien plus que moi par rapport aux TIC !

C’est probable. Ils ne connaissent cependant absolument rien en pédagogie et c’est ce qui fait toute la différence. S’ils en connaissent plus que vous avec les outils technologiques, tant mieux. Déléguez-leur l’aspect technique : c’est valorisant pour eux et cela leur donne un autre rôle à jouer dans leur propre séquence d’apprentissage. De votre côté, fixez les intentions pédagogiques, les modalités évaluatives et encadrez-les en termes de citoyenneté numérique. De grâce, ne vous stressez pas avec l’aspect technique.

Reformulation selon le principe de mentalité de croissance : J’ai confiance en mes moyens. Je ne suis peut-être pas si technocompétent, mais je le deviendrai en utilisant mes outils. D’ici là, j’offre des occasions à mes élèves de m’aider et ainsi, en quelque sorte, prendre part à l’aspect didactique de ma profession !

« On fidélise les jeunes à une marque, à un logo ».

Décidément, il y en a qui ont de l’imagination. Prétendre que l’école doit être à l’abri des offensives médiatiques mercantiles implique une conception en silo de l’éducation. Retranchée dans ses cloisons, bétonnée dans un abri antinucléaire, l’école doit protéger les élèves contre les grandes marques qui veulent les fidéliser. Tannés de voir les pommes croquées au revers des tablettes électroniques de leurs élèves et des logos qui apparaissent lorsqu’ils mettent leur TNI sous tension, ces enseignants omettent que des marques apparaissent même sur les crayons de bois et les effaces de ces mêmes élèves. Il est surprenant que cela ne fasse pas l’objet d’une levée de boucliers, non ? Les marques sont partout : sur nos voitures, sur les panneaux publicitaires, sur notre linge, sur nos sacs, etc. Peut-on trouver des excuses plus sérieuses ? Éduquer à la pensée critique ne se fait pas en laboratoire aseptisé.

Reformulation selon le principe de mentalité de croissance : Je profite de l’occasion pour permettre aux élèves de développer un sens critique face aux marques et à la fidélisation à de grandes entreprises. Cette distance stratégique se développe dans l’action et elle est le résultat du transfert d’un esprit critique en une action critique.

« J’ai besoin d’une formation ».

Lorsque la première tablette électronique est arrivée sur le marché, ma fille avait environ deux ans et demi. Elle a compris assez vite comment cela fonctionnait. Probablement qu’elle n’était pas animée par une crainte de faire des erreurs ou de briser l’appareil… À la défense des enseignants et des autres professionnels de l’éducation, elle n’était pas face à un groupe d’élèves non plus. Il y a un aspect exploratoire qui s’est perdu en enseignement et qu’on aurait avantage à retrouver rapidement.

Les formations de nature « pédagonumériques » sont incontournables, bien évidemment. Cependant, le sempiternel souhait d’être formé par autrui implique une attente que quelqu’un d’autre se charge de ce qui doit être fait pour faciliter lesdites formations. Il semble contre-indiqué de s’attendre à ce que du temps personnel soit pris pour en apprendre plus sur sa propre profession : tous doivent être libérés ou compensés. Pourquoi faut-il attendre après quelqu’un pour se former et pourquoi cela doit-il se faire nécessairement durant les heures de travail ?

Reformulation selon le principe de mentalité de croissance : Je prends le plein contrôle de mon développement professionnel. J’en assume l’entière responsabilité et, lorsque j’ai des opportunités offertes par mon employeur, une association ou mon syndicat, je saisis l’opportunité et la considère comme un complément à ma propre démarche de développement professionnel.

« Je n’ai pas le temps ».

Dans la même veine, il y a deux types de « je n’ai pas le temps ». Il y a celui du programme scolaire qui nous pousse dans le dos et qui fait du quotidien scolaire une routine quotidienne basée sur l’urgence de « passer la matière ». Il y a aussi le temps à investir personnellement dans notre développement professionnel.

Oui, il y a un programme à couvrir, mais recourir constamment à l’enseignement direct par souci d’économie de temps a tendance à démontrer le peu de créativité de bon nombre de professionnels en plus de dévoiler un manque de flexibilité de l’organisation scolaire qui laisse que trop peu de latitude à ses professionnels pour expérimenter pédagogiquement.

Lorsqu’on regarde les enseignants technophiles, ceux qui ont épousé les TIC et les ont intégrées avec succès à leur enseignement, ce sont ceux qui ont investi de leur propre temps dans leur développement professionnel. Et oui, eux aussi ont des obligations personnelles et familiales… Il faut cesser d’attendre après le gouvernement, la commission scolaire ou l’employeur pour évoluer professionnellement ! Bien évidemment, ils doivent en faciliter la tenue, mais la formation continue est d’abord et avant tout une responsabilité partagée et une posture professionnelle assumée personnellement par l’enseignant, le directeur, le cadre scolaire ou le personnel de soutien.

Reformulation selon le principe de mentalité de croissance : Le temps scolaire m’est imposé, mais en tant que professionnel autonome, j’aménage ce temps dans le meilleur intérêt de mes élèves.

Quelques raccourcis

Bien évidemment, ce texte se veut une généralisation. Il n’a pour but que de placer les professionnels de l’éducation dans une perspective de mentalité de croissance pour reconnaitre que les choses doivent changer en éducation et que les forces motrices de ce changement sont à pied d’œuvre dans les classes, avec les élèves. En éducation, il faut cesser d’avoir cette mentalité fixe prétextant que tout est vain, inutile ou dû.

L’élève est en situation d’apprentissage perpétuel et ceux qui l’accompagnent aussi. On ne vous demande pas de tout savoir; on vous demande d’être prêt à avancer avec l’élève, en apprenant à ses côtés. Faites-vous confiance et surtout, faites leurs confiance.

Devant ces quelques généralisations et raccourcis dans le texte, un fait demeure : nous n’avons pas encore atteint le point de bascule qui fait des technologies, un outil incontournable de la pédagogie du 21e siècle pour ainsi développer d’autres compétences chez les élèves. Car, au-delà des compétences disciplinaires, il y a celles qui forment l’élève à devenir un citoyen du 21e siècle : collaboration, créativité, pensée informatique, esprit critique et résolution de problèmes complexes.

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