Depuis les cinq dernières années, j’ai lu sur le changement en milieu scolaire, sur le leadership, sur la pédagonumérique et sur les compétences issues du 21e siècle. J’ai écrit un livre et j’ai donné des dizaines d’ateliers sur ces sujets, et ce, même si Michael Fullan reconnait qu’il est « difficile de changer le monde à coup d’atelier » ! Mais en écrivant ce billet de blogue, j’ai l’impression de boucler une petite boucle avec une information qui me manquait pour mieux saisir le phénomène du changement en milieu scolaire : l’empreinte professionnelle.
L’empreinte professionnelle
La venue de l’enseignement par compétences est en profonde rupture avec l’approche traditionnelle de l’enseignement, laquelle est principalement axée sur l’acquisition des connaissances figurant au programme d’études. En effet, ce dernier paradigme scolaire est issu d’une longue tradition qui remonte à la fin du préceptorat, soit au 17e siècle (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013, p.35), ce qui nous permet d’affirmer qu’une rupture avec une telle culture pédagogique ne se fait pas si facilement ! De plus, il s’agit d’un modèle qui se renouvèle pratiquement automatiquement, surtout lorsqu’on prend en compte les recherches sur l’empreinte professionnelle qui démontrent que les enseignants ont tendance à enseigner de la façon dont on leur a jadis enseigné (Tardif et Lessard, 1999, p.380). Selon les deux éminents chercheurs, il s’agit de « l’instance de reproduction de la pédagogie traditionnelle ». Ce phénomène explique également pourquoi les plus jeunes enseignants qui arrivent dans un nouveau milieu scolaire ont tendance à enseigner comme on leur a enseigné ou comme leurs nouveaux pairs plus âgés, donc plus expérimentés. Selon la professeure Danielle Raymond, de l’Université de Sherbrooke, les forces du transfert de la culture enseignante plusieurs fois centenaires (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013, p.35) sont puissantes et il est difficile d’aller à contresens de celle-ci :
Cela « (…) semble agir comme un phénomène d’empreinte qui fournit des réponses ritualisées à des tâches ressenties comme familières. Ces « certitudes » doublées de l’exigence d’être fonctionnel très rapidement compromettent la construction de pratiques d’enseignement requérant une réflexion sur la nature des connaissances, de l’apprentissage, du rôle de l’élève et de celui de l’enseignant » (Raymond, 2001, p.23).
On dépasse donc la question du choix de carrière basé sur des expériences positives et gratifiantes, et ce, malgré que Tardif et Lessard estiment que la perception innée de la profession enseignante se traduise par des « j’ai toujours su que j’étais fait pour enseigner ». C’est un peu le côté sombre de l’appel vocationnel : lorsque les enseignants attribuent à leurs traits de personnalité leur réussite professionnelle, ils négligent qu’ils font de leur profession une histoire axée sur leur vie et non celle de leurs élèves ! En réalité, le phénomène d’empreinte est ancré dans cette perception et devrait être traduite de la façon suivante : « j’ai toujours su que j’étais fait pour enseigner de cette façon-là ». D’ailleurs, « Une majorité d’enseignants accorde peu de valeur à leur formation à l’université (…) et privilégient (…) une pédagogie traditionnelle apprise sur les bancs d’école comme élève » (Tardif et Lessard, 1999, p.381). Lorsque les traits de personnalité sont prétendument à la base du savoir-enseigner, c’est davantage un discours de mentalité fixe qui est évoqué.
Lorsque les traits de personnalité sont prétendument à la base du savoir-enseigner, c’est davantage un discours de mentalité fixe qui est évoqué.
Avec l’arrivée du 21e siècle, des médias sociaux, de la démocratisation des technologies et avec l’émergence de nouveaux défis sociaux, l’empreinte professionnelle chez les enseignants est probablement l’explication de base lorsqu’on essaie de comprendre le décalage entre l’école et la société ! D’une part les humains qui œuvrent à l’école prennent leur personnalité comme point de référence professionnel et de l’autre, une société qui mue à une vitesse vertigineuse.
Que faire ?
Les compétences professionnelles doivent être perçues comme étant dynamiques et constamment à parfaire. C’est le principe de la mentalité de croissance (Dweck, 2006) qui, d’un point de vue professionnel, incite l’enseignant à adopter une posture d’apprenant pour parfaire ses connaissances et des compétences professionnelles dans le but de faire évoluer sa propre pratique et, par le fait même, sa profession entière. Il faut cesser de prendre les choses pour acquise en éducation en prétendant que tout est immuable. Éradiquons les phrases suivantes :
- « Les élèves ne changent pas »;
- « Ça fonctionnait avant, ça va fonctionner maintenant »;
- « Les élèves sont moins forts d’une année à l’autre »;
- « Les élèves qui sont en échec sont ceux qui n’écoutent pas en classe ».
Assumer son leadership
citait avec éloquence, dans son allocution TED, que si vous ne dérangez personne lorsque vous initiez une démarche de changement, c’est parce que vous ne changez rien réellement. C’est probablement la règle du leadership du 21e siècle en éducation : il faut déranger l’ordre établi pour que cela devienne la norme. À l’heure actuelle, ce qui est la norme est d’écouter les membres du personnel se plaindre de leur sort dans la salle des prof. La journée que les enseignants positifs, ceux-là mêmes qui sont des vecteurs de changement dans leur école, prendront à l’assaut les corridors de l’école ainsi que le salon du personnel, les choses commenceront à changer.
Il faut laisser les leaders positifs transformer les milieux scolaires et leur permettre d’atteindre de nouveaux sommets et il faut que ces derniers travaillent en toute impunité. Bien malheureusement, à l’heure actuelle, tout est en place pour protéger ceux qui sèment des obstacles à tout vent et qui récoltent la tempête !
Enfin, il faut s’éloigner de la facilité en éducation. Exit les recettes gagnantes exportables au nom de l’apologie des données probantes. Pire, exit les stratégies et le matériel recyclés d’une année à une autre. Servir le même matériel, la même approche à des élèves différents d’une année à une autre est un manque d’éthique professionnelle et une démonstration flagrante de notre peu de considération envers ceux qui apprennent. Enseigner, c’est complexe. Il faut l’accepter et se placer en position permanente d’apprenant pour s’adapter continuellement.
Enseigner, c’est complexe. Il faut l’accepter !
Quand on y pense bien, les difficultés n’existent pas vraiment ; elles sont le fruit de notre perception. Les situations deviennent des difficultés lorsqu’on les identifie en tant que tel. Pour certains, c’est un objet de découragement et de démotivation alors que pour les autres, c’est un défi et un élément motivant pour continuer à avancer. Nous souhaitons enseigner la persévérance à nos élèves et nous devons leur servir de modèle à cet égard.
Pour en revenir à l’empreinte professionnelle, « un enseignant demeure toujours d’une certaine façon un ancien élève, un adulte qui n’a jamais vraiment quitté l’école, mais, en même temps, il lui faut aussi rompre avec l’univers des élèves » (Tardif et Lessard, 1999, p.383). C’est bel et bien l’élève qui est « livré à son propre destin » et non l’enseignant qui alimente la pensée magique de sa personnalité ou de son appel vocationnel pour justifier son travail auprès des élèves.
Auteur : M-A Girard ()
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Dweck, C. S. (2006). Mindset : The New Psychology of Success. New York : Random House.
Fullan, M. (2015). Le leadership moteur. Québec : Presses de l’Université du Québec.
Gauthier, C., Bissonnette, S., Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves : la gestion des apprentissages. Saint-Laurent : ERPI.
Raymond, D. (2001). « Processus et programmes d’insertion professionnelle des enseignants au collegial ». Pédagogie collégiale 14(3), p. 22-27.
Tardif, M., Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Ste-Foy : Les Presses de l’Université Laval.