Partie 3 : La fabrique d’automates
Lire la seconde partie, En finir avec le grand psychodrame de l’éducation
J’ai lu, il y a quelques années, un article qui a complètement changé ma vision de l’éducation. J’ai rapidement compris que je fabriquais des automates, car j’instruisais bien plus que j’éduquais ! En fait, j’ai réalisé qu’en éducation, les élèves n’ont aucun contrôle ; ils ne contrôlent ni le temps, ni l’espace, ni le contenu, ni les comportements. Ils sont là, ils font du temps et ils font ce qui leur est imposé.
Déjà en 1969, Alain Beaudot dénonçait l’école de l’imitation, du silence et du conformisme. Près d’un demi-siècle plus tard, le constat est accablant : les choses ont bien peu changé !
Pourtant, l’école n’est pas une manufacture. C’est un lieu à cheval entre l’art et la science. La science a son rôle à jouer et il est incontournable. Il valide et surtout, il diffuse. La recherche en éducation, c’est un phare qui éclaire les pratiques enseignantes. De façon complémentaire, la créativité valorise la divergence et la délinquance pédagogique et elle amène de la couleur et de la diversité à l’éducation. Elle n’est pas une excentricité quelconque, mais bien le catalyseur d’idées et le désir de les voir prendre forme dans une démarche scolaire. La recherche et la créativité sont liées. Les chercheurs sont des individus créatifs et curieux. Le problème est qu’au lieu de transmettre cette même créativité et curiosité à la base de leurs recherches, ils cherchent trop souvent à imposer des vérités, des dogmes. Comme je l’écrivais dans la première partie de cette trilogie, la dernière chose dont nous avons besoin en éducation, c’est de nouveaux dogmes. L’éducation doit faciliter la fertilité des idées et leur permettre de prendre forme. Si cela est vrai pour la pédagogie, ce le sera pour l’apprentissage.
C’est donc la fin du modèle unique en éducation (one size fits all). On constate l’émergence d’un nouveau paradigme axé sur la valorisation de la diversité et la mobilisation de l’élève alors qu’il est désormais refusé que la routine définisse nos approches. On accepte enfin de prendre quelques risques calculés dans une expérimentation pédagogique bien dosée. Exit la trivialité ! Nous n’avons pas à nous conditionner à être normaux ! Bien au contraire, comme le suggère Cristol Denis, ne faut-il pas faciliter l’expression des talents et des intelligences singulières et favoriser l’émancipation de l’élève face au conformisme des pensées convenues ? Nous pourrons alors permettre à l’élève de revendiquer son droit à apprendre plutôt qu’à être enseigné. L’enseignant est un catalyseur ; il est la personne la mieux placée pour sonder les talents et aptitudes de ses élèves pour ainsi leur permettre d’aspirer à des niveaux de réalisation insoupçonnés.
Selon Tolstoï, il faut choisir entre une école où il est facile aux maitres d’enseigner et une école où il est facile aux élèves d’apprendre. Dans ces lieux où nous instruisons nos élèves plus que nous les éduquons, peut-on prétendre réellement bien préparer nos élèves pour leur vie future ? Nos élèves de première secondaire seront sur le marché du travail vers 2025 jusqu’à environ 2060. Ce que notre système éducatif leur offre est-il suffisant à les préparer pour leur expérience professionnelle ?
Cette trilogie d’articles de blogue nous rappelle donc l’importance de l’acte de création en éducation. Il souligne que :
- Par notre difficulté de moderniser l’acte d’enseigner,
- Par notre refus de placer l’élève au centre de l’acte d’apprentissage,
- Par notre besoin de contrôler la totalité de la démarche pédagogique,
- Par nos difficultés à arrimer nos pratiques à celles des milieux professionnels,
- En ostracisant la différence et l’originalité au profit du conformisme,
nous contribuons à faire perdurer un modèle scolaire tombé en désuétude. Nous contribuons à la survie des manufactures de l’éducation, ces fabriques d’automates. En ce sens, le risque inhérent au statu quo en éducation est largement plus important que celui du changement. Comme le dit si bien l’écrivaine Anaïs Nin, and then the day came, when the risk to remain tight in a bud was more painful than the risk it took to blossom.