Depuis quelques jours, le monde de l’éducation est à l’avant-scène de l’actualité québécoise. Que ce soit la place de la lecture à l’école, les coupures budgétaires imposées ou même les discussions entourant la création d’un ordre professionnel des enseignants, il semble que les inquiétudes de la population se manifestent à travers diverses problématiques rapportées par les médias. De ces dernières, celle qui a fait le plus de bruit est certainement la précarité des programmes d’aide aux devoirs.
La situation actuelle
Bien qu’il soit totalement compréhensible que le milieu scolaire ainsi que les parents s’insurgent contre de telles coupures qui affectent directement l’élève, il n’en demeure pas moins que la situation démontre clairement que le modèle pédagogique dominant au Québec est révolu. La réalité est frappante : les élèves ont besoin d’aide pour faire leur devoir. Quel autre constat pouvons-nous en tirer sinon que le temps de classe n’est pas suffisant pour permettre aux élèves de comprendre ce qu’ils ont à faire en devoir ? Serait-ce l’occasion de revoir les méthodes enseignées et utilisées actuellement, de refaire une beauté au métier d’enseignant, de refondre ses assises?
L’organisation traditionnelle de la majorité des classes est simple : l’enseignant offre un exposé théorique magistral. Les élèves sont assis, ils écoutent, prennent des notes. Diverses activités sont prévues pendant le temps de classe mais très souvent, l’enseignant impose différents travaux qui doivent être complétés à la maison. La question que plusieurs se posent est pertinente : si les élèves ne comprennent pas ou ne savent pas comment résoudre les problèmes demandés et qu’ils ont besoin d’aide, qui peut les aider ? Un camarade de classe ? Le parent ? Force est d’admettre que l’aide n’est pas accessible immédiatement. À une époque où les parents sont de plus en plus sollicités par leurs occupations professionnelles, il semble évident que le temps soit venu de repenser la formule des devoirs en mobilisant la personne la mieux placée pour aider l’élève dans ses exercices et activités : l’enseignant.
La classe inversée
Le principe de base de la classe inversée est fort simple. Le contenu magistral est enregistré sur des capsules vidéo mises à la disposition des élèves sur différentes plateformes. Les élèves s’organisent pour les visionner à la maison. Ils peuvent la faire rejouer à volonté, la mettre sur pause. Bref, la leçon théorique devient ergonomique au sens où elle s’adapte aux besoins et contraintes de l’élève. Les activités traditionnellement exigées en devoir sont réalisées en classe, sous la supervision du pédagogue. Ce dernier répond aux questions des élèves. Cet aménagement du temps de classe permet ainsi de favoriser, entre autres, l’apprentissage par les pairs, le travail collaboratif et le socioconstructivisme. Les élèves pourront, grâce à cette formule, faire preuve de créativité en transférant leurs connaissances dans des situations concrètes et amorcer une démarche réflexive et critique sur leur processus d’apprentissage. Sachant qu’à l’habitude, les élèves n’ont pas besoin d’accompagnement pour visionner les capsules vidéo élaborées par les enseignants à la maison, ils ont tout l’accompagnement nécessaire pour réaliser les tâches exigées par l’enseignant.
Non seulement la classe inversée devient-elle une avenue intéressante, intégrant pleinement les technologies de l’information et de la communication à la pédagogie, mais surtout, elle situe définitivement l’élève au centre de la démarche d’apprentissage contrairement à l’approche traditionnelle qui, bien souvent, place l’enseignant au centre de cette même démarche. Il est d’ailleurs démontré que la pratique concrète et l’apport de sources d’information variée permet de développer des compétences plus solides qu’une approche linéaire et unique. Il y a lieu de se questionner sur la véritable définition de la pédagogie active : est-ce l’enseignant qui doit être actif ou l’élève ? Or, en plus de permettre à l’enseignant de personnaliser ses interventions en classe, l’approche inversée oblige l’élève à s’impliquer, à s’engager dans sa propre réussite.
… et la fracture numérique ?
Il est important de comprendre que le fondement de la classe inversée n’est pas la réalisation de capsules vidéo. En fait, c’est plutôt la libération du temps de classe occasionné par l’évacuation du magistral qui permet à l’enseignant de pouvoir mieux interagir auprès de ses élèves qui fait la différence. Maintes recherches en éducation démontrent que le premier facteur influençant la réussite scolaire est l’enseignant. Justement, la classe inversée permet de rendre ce dernier disponible pour mieux guider ses élèves vers une démarche d’apprentissage approfondie et enrichie par des discussions pertinentes aux thématiques abordées en classe. Cependant, une question surgit naturellement : que faire avec les élèves qui n’ont pas accès aux ressources technologiques requises ? Dans un premier temps, selon le Centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique, 99% des jeunes canadiens ont un accès régulier à l’internet. Dans les milieux aisés, cet accès se traduit essentiellement par des outils portatifs qui sont utilisés (téléphones intelligents, tablettes numériques, portables, etc.). Et pour ceux qui n’ont pas accès, l’école offre habituellement un accès à l’internet via ses laboratoires informatiques. Bien sûr, il y a toujours des exceptions à la règle mais la pédagogie différenciée, entre autre chose, permet justement aux enseignants de trouver des accommodements pour leurs élèves en fonction des ressources disponibles.
Le changement volontaire comme antidote au changement imposé
La classe inversée, devenue l’apprentissage inversé grâce à son souci d’adopter une approche centrée sur l’élève et les mécanismes individuels lui permettant de mieux apprendre, permet une alternative intéressante pour atténuer les impacts des coupures ministérielles dans l’aide aux devoirs. L’équation est simple : s’il y a moins de devoirs dans le sens traditionnel du terme, les élèves auront moins de besoins d’aide. De plus en plus d’enseignants occidentaux se penchent sur cette question : comment mieux rentabiliser le temps en classe avec les élèves et, incidemment, on ne peut que reconnaitre que cette approche inversée permet de recentrer l’élève au centre de l’activité pédagogique en permettant, par la même occasion, de solutionner une problématique financière. Les temps changent. La société change. Les élèves changent. Le monde scolaire doit également changer. Bien que les coupures dans le monde de l’éducation ne soient aucunement souhaitables, il est illusoire de s’attendre à ce que tous les services en place depuis des décennies demeurent disponibles ad vitam aeternam. C’est probablement la raison pour laquelle le monde de l’éducation doit être à l’avant-garde au lieu de se faire imposer de changer par les règles budgétaires du MELS. En ce sens, l’apprentissage inversé n’est qu’un exemple parmi tant d’autre.
Marc-André Girard
Directeur des services éducatifs
Auteur du livre Le changement en milieu scolaire (Éditions Reynald Goulet)
Marie-Andrée Croteau
Conseillère pédagogique en intégration des technologies
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